Les conditions insupportables du traité de Versailles qui avait mis fin au conflit de 1914 1918 et la crise… économique de 1929 avaient plongé l’Allemagne dans une crise économique et sociale sans précédent. Le chômage dépassait alors la barre des 40% et la population tout entière sombrait dans la faim et la misère.
C’est dans ce contexte dramatique qu’Adolf Hitler accéda au pouvoir. Perçu comme un «chef providentiel» il mit aussitôt en œuvre les idées qu’il avait développées quelques années plus tôt. Non seulement, il exalta à outrance les sentiments nationalistes mais il assortit son programme politique de fumeuses et mortifères théories raciales qui désignaient, d’un bloc, les coupables du malheur allemand.
C’était les juifs, les bolchéviques et, d’une façon générale, tous les parasites n’appartenant pas à la race aryenne. Ils devaient tous être éliminés.
La guerre qu’il déclencha en 1939 pour s’approprier les territoires qu’il voulait annexer à son fantasmatique 3ème reich déboucha rapidement, par le jeu des alliances, sur une apocalypse mondiale.
Ce conflit sans précédent qui dévasta la planète est le drame le plus monstrueux qu’ait connu l’humanité et elle restera comme un fer rouge planté à jamais au cœur du XXème siècle.
Des milliers de tonnes de bombes furent déversés sur l’Europe.
Des villes, des dizaines de villages furent réduits en cendres..
Les usines, les ponts, les voies de chemin de fer, les routes, les ports, les monuments séculaires, la nature elle-même, tout fut anéanti sur les lieux de ces combats effroyables.
Entre 1939 et 1945, le conflit fit plus de 50 millions de morts, 10 millions de blessés.
À ce chiffre vertigineux, il faut ajouter plus de 6 millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui périrent dans les camps de concentration, envoyés à la mort par la barbarie nazie.
En France, près de 80 000 juifs furent déportés, traqués non seulement par la sinistre Gestapo mais aussi et surtout par le gouvernement de Pétain, sa police, sa milice, ses membres zélés, comme Darlan, Laval, Bousquet et les nombreux français qui avait choisi la collaboration.
Beaucoup l’avait fait par lâcheté, par cupidité, par bassesse, par bêtise, quelquefois par conviction. Bien peu, en tout cas, osaient se dresser contre l’occupant.
Être juif, en France, dans ces années noires était une épreuve terriblement dangereuse. À partir du 1er juin 1942, et par décision de Vichy, le port de l’étoile jaune fut rendu obligatoire pour les Juifs de la zone occupée.
Aux rationnements, au désespoir que connaissaient tous les autres français, s’ajoutèrent, pour eux, de nombreuses obligations, humiliations, spoliations, rendant leurs conditions de vie terriblement difficiles.
En 1942, la suppression de la zone libre et l’accélération de la mise en œuvre de la solution finale, vont pousser nombre de juifs à entrer dans la clandestinité pour échapper aux rafles et aux dénonciations. Leur sort, leur survie, vont alors bien souvent dépendre de l’aide qu’ils pourront recevoir de leurs proches ou de la population.
C’est dans ces circonstances dramatiques que Léon et Tsipa Zélik, accompagnés de 5 enfants de leur famille vont faire fortuitement la connaissance d’Abel Fournier. Face à leur détresse, Abel, résistant de la première heure, n’hésita pas bien longtemps et il leur proposa de venir s’abriter au hameau de Vigny où il savait pouvoir les loger et subvenir à leurs besoins. La famille Zélik accepta très vite la proposition de cet homme qui avait su les convaincre de sa sincérité et de son humanité.
C’est ainsi que Suzanne et Abel Fournier vont, pendant près de deux ans, abriter secrètement cette famille et lui permettre d’échapper à la déportation vers les camps de la mort.
On mesure l’héroïsme de leur choix aux risques mortels que représentait une telle entreprise.
Si l’occupant ou la milice française avaient eu le moindre soupçon, il est certain qu’eux aussi auraient été arrêtés puis déportés, voire sans doute sommairement exécutés.
À la libération, en 1944, malgré tous les risques, Abel et Suzanne avaient pourtant réussi à sauver 7 vies. À ce titre, Yad Vashem, institution internationale pour la mémoire de la Shoah, les a élevés en 2007, au rang de Justes parmi les Nations.
La cérémonie d’hommage à laquelle nous participons ce matin, honore le passé mais doit aussi nous permettre d’éclairer le présent, d’enrichir notre réflexion et d’en tirer des enseignements salutaires pour notre avenir et celui des générations futures..
L’héroïsme dont a fait preuve le couple Fournier est tellement exceptionnel qu’on ne peut l’ériger en modèle ni même en exemple. Il fallait un courage, une obstination hors norme pour mener à bien cette opération si risquée. Il serait illusoire d’espérer que, dans de telles circonstances, chacun fasse preuve d’une aussi périlleuse abnégation. L’héroïsme n’a pas vocation à devenir banal.
En revanche, on ne peut oublier de parler ici, de l’attitude exemplaire, du silence complice qui furent ceux de la population de Vigny pendant les deux années où la famille Zélik est restée cachée dans le hameau.
Il est certain que sans cette bienveillance généreuse exercée par tous les habitants, l’entreprise de Suzanne et Abel Fournier aurait été vouée à un échec dramatique.
À côté des époux Fournier, les habitants de Vigny ont su simplement, et avec conviction, faire preuve de dignité et d’humanité. Ils ont su porter bien haut le principe de fraternité gravé au fronton de la République. Rien d’héroïque, rien de spectaculaire mais la démonstration que le sens moral de chacun peut suffire à arrêter les plus noires entreprises. Le vrai pouvoir est sans doute là.
Et puis cette guerre et surtout ses origines doivent encore et toujours nous interroger. Je le disais en commençant tout cela nous semble aujourd’hui bien lointain, bien dépassé. On a le sentiment que le monde a tiré les enseignements de cet épisode effrayant de notre histoire, que le progrès, la connaissance, la science nous mettent à l’abri de telles monstruosités. Il suffit pourtant de regarder l’état politique de la planète aujourd’hui pour constater à quel point cet optimisme est bien fragile. Les inégalités croissantes, la surpopulation, les crises économiques, les exodes incitent les pays riches à s’enfermer dans leurs citadelles. C’est un terreau inespéré pour les démagogues de tout poil .
Cette vague nationaliste touche tous les continents et nous aurions tort de nous croire protégés. Les valeurs qui nous sont chères, qui nous semblent éternelles, les valeurs de justice, de liberté, de fraternité, de solidarité, le sens moral dont je parlais précédemment, doivent sans cesse être défendus et entretenus. Restons persuadés que rien n’est jamais acquis.
.
Naïfs, nous croyons aux «leçons de l’histoire», celles qu’on espère tirer de l’expérience, les «plus jamais ça» incantatoires qui nous préservent du retour de la barbarie.
La culture, l’art, la philosophie, la démocratie elle-même ne sont pourtant pas des barrières infranchissables. Les horreurs de 1939 peuvent très vite se reproduire.
L’Allemagne a donné au Monde les plus grands musiciens, les plus grands philosophes, les plus grands auteurs, les plus grands savants. Cette culture raffinée n’a cependant pas empêché Hitler, en 1933, de se faire élire par un processus démocratique puis d’entraîner ensuite son pays vers l’Enfer.
Pour éviter le retour des barbares, ne cédons sur rien, ne cédons sur aucune de nos valeurs. N’acceptons pas les discours de haine, de rejet, les discours qui stigmatisent, désignent des boucs émissaires.
Comme l’ont fait Suzanne et Abel Fournier, comme l’ont fait les habitants de Vigny, continuons à faire vivre notre dignité et notre humanité. C’est une tâche difficile, qui nécessite une attention permanente et ne supporte aucun relâchement, aucun compromis mais c’est aussi le prix de notre liberté.
Restons sur le qui-vive. La démocratie secrète ses propres ennemis qui la menacent de l’intérieur.
Ne les laissons pas approcher des portes du pouvoir.
Nous sommes tous engagés aujourd’hui dans la même aventure, condamnés à réussir ou à échouer ensemble. La providence ne décide pas de notre destin et l’avenir dépend de la volonté de chacun.
Berthold Brecht nous a avertis: « Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu. Ne crions pas victoire trop tôt, le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde»